mardi 21 janvier 2014

Pourquoi les garçons réussissent-ils moins bien que les filles à l'école?


Source: Flickr

Dans la plupart des pays industrialisés, on constate des différences importantes entre la réussite scolaire des garçons et des filles. Par exemple, les garçons sont davantage victimes de décrochage scolaire, sont moins nombreux à être diplômés et obtiennent généralement des résultats plus faibles en lecture. Il est légitime de se demander pourquoi. On a tôt fait d'incriminer des différences psychologiques entre garçons et filles: ces dernières seraient plus compétentes dans le domaine verbal, elles seraient plus appliquées, plus persévérantes, plus concentrées, etc.  
Un article récent apporte un éclairage nouveau sur cette question. Les auteurs, Joscha Legewie de l'Université de Columbia à New York et Thomas Di Prete de l'Université de Wisconsin, partent du constat que les différences de réussite entre garçons et filles varient très fort non seulement d'un pays à l'autre (les filles réussissent d'autant mieux que la société dans laquelle elles vivent promeut l'égalité entre les sexes), mais d'une école à l'autre. Une telle observation se marie difficilement avec l'existence supposée de différences psychologiques stables en fonction du sexe. Selon Legewie et Di Prete, cette grande variation dans le "fossé" séparant filles et garçons trouve son explication dans ce qu'ils qualifient "d'identité de genre": en gros, les enfants développent un ensemble de croyances et de normes  partagées définissant ce que cela signifie d'être un garçon (ou une fille). Ces normes seraient parfois en contradiction avec celles que véhiculent l'école: ainsi, il peut être mal vu pour un garçon de briller en classe. Cela projetterait au sein du groupe de "potes" l'image d'un conformiste soumis à l'ordre établi. De même, obtempérer bien sagement aux injonctions du professeur, même si elles semblent injustes, se marierait mal avec les idéaux de virilité que peuvent véhiculer les jeunes garçons. En revanche, les comportements "scolaires", même s'ils ne correspondent pas aux normes de genre féminines, ne seraient pas contraires à celles-ci. Bien, me direz-vous, mais en quoi cela expliquerait-il les variations d'une école à l'autre? 

Selon Legewie et Di Prete, ce tableau d'une incompatibilité fondamentale entre les normes de genre masculine et la réussite scolaire n'est vrai que d'une partie des écoles, en particulier celles dont la population est de niveau socio-économique modeste. D'autres écoles, au contraire, parviennent à cultiver des valeurs qui sont perçues comme compatibles avec l'identité masculine de leurs jeunes ouailles. Elles réussissent à promouvoir chez ceux-ci une culture de l'apprentissage, par exemple en mettant en exergue la compétition ou la réussite, des valeurs qui peuvent se marier avec leur vision de la masculinité. Ce faisant, elles reposeraient en particulier sur le concours des parents. Dans les milieux les plus privilégiés, ceux-ci parviennent précisément à inculquer une telle vision et seraient également plus vigilants par rapport aux signes de désinvestissements scolaire. Dans ces écoles, l'écart entre garçons et filles serait beaucoup plus réduit. 

Pour mettre cette belle théorie à l'épreuve, les auteurs ont examiné les résultats en lecture d'un large échantillon d'enfants du primaire et du secondaire (plus de 10.000). Comme prévu, ils constatent que les filles obtiennent de meilleures scores que les garçons (correspondant à +/- 1/3 d'année d'avance à 10 ans) mais que cet avantage varie d'une école à l'autre et dans certains cas qu'il s'inverse. Par ailleurs cet avantage diminue d'autant plus que l'école obtient en moyenne de bonnes performances (comme on le voit sur le graphique ci-dessous, qui représente le rapport entre ces deux variables -performance moyenne de l'école en abscisse et différence fille-garçons en ordonnée- dans les deux bases de données utilisées: Element et Pisa-I-Plus).
Ceci pourrait suggérer, conformément au modèle des auteurs, que plus les écoles parviennent à favoriser une culture valorisant l'apprentissage, plus les garçons parviennent à s'accrocher au wagon des filles. 

Par ailleurs, on constate sans surprise que plus le niveau socio-économique des élèves d'une école est élevé, plus la performance de ceux-ci augmente. Toutefois, les garçons bénéficient d'avantage de cet aspect que les filles, ce qui réduit l'écart entre les deux sexes. De même les attitudes à l'égard de la scolarité, les habitudes de travail sont plus favorables dans les écoles "riches" par rapport aux écoles "pauvres". Toutefois, cette différence est beaucoup plus marquée pour les garçons que pour les filles. Ceux-ci bénéficient donc davantage de l'environnement scolaire. Ces données étayent donc l'explication des auteurs mais restent relativement indirectes. On aimerait voir une étude mettant directement en relation le contenu des identités de genre et la performance des garçons. 

Un article récent de Bonny Hartley et Robbie Sutton de l'université de Kent rapporte trois expériences répond partiellement à cette exigence. Dans l'une d'elle, ils constatent que dès 7/8 ans, des enfants britanniques développent des croyances stéréotypées très fortes selon lesquelles les filles sont meilleures que les garçons sur le plan scolaire. Ils tendent également à penser que les adultes perçoivent cette différence (et les voient comme moins "bons" que les filles). Une identité de genre opposant réussite scolaire et masculinité est donc susceptible d'émerger très tôt. 

Dans une seconde étude, Hartley et Sutton ont divisé un groupe d'enfants de 7-8 ans en deux sous-groupes avant de les soumettre à un test comprenant une épreuve de lecture, une épreuve d'écriture et une épreuve de mathématiques: à la moitié d'entre eux, ils ont préalablement énoncé le stéréotype en leur signalant que les filles obtenaient généralement de meilleurs scores à ce test. Un groupe contrôle n'était pas exposé à cette information. Que constate-t-on? Globalement, pour les trois domaines étudiés, on constate que les filles sont peu influencées par l'information: savoir qu'elles sont supposées meilleures n'affecte pas leurs scores par rapport au groupe contrôle. En revanche, pour les garçons, la différence est importante: leur score au test est plus faible dans la condition "stéréotype" que dans la condition contrôle. Si l'on reprend l'analyse de Legewie et Di Prete, ceci pourrait s'expliquer par le fait que leur identité de genre, qui s'avère peu compatible avec la réussite scolaire, a été "activée" par l'énonciation du stéréotype. 


Toutefois, à première vue, cette explication ne résiste pas à la troisième expérience de Hartley et Sutton: dans cette dernière, au lieu d'énoncer le stéréotype, ils signalent à la moitié des sujets que garçons et filles obtiennent le même niveau de performance au test. Dans ce cas, la performance des garçons s'améliorait par rapport à la condition contrôle, contrairement à celle des filles, qui restait stable. Or, on peut supposer que l'identité de genre a étalement été activée dans ce cas, ce qui cadrerait donc mal avec l'idée qu'elle expliquerait un déficit de performance chez les garçons. Toutefois, si l'on souhaite conserver l'explication de Legewie et Di Prete, il est possible qu'en contredisant le stéréotype, cette information ait énoncé une "norme de genre" plus compatible avec l'apprentissage et que les garçons aient fait preuve d'une motivation à s'y conformer. 

Quoiqu'il en soit, cet ensemble de résultats démontre clairement que le contexte social est bien plus déterminant dans l'explication des différences de réussite entre garçons et filles que des différences fondamentales d'aptitudes. 

Références

Hartley, B. L., & Sutton, R. M. (sous presse). A Stereotype Threat Account of Boys' Academic Underachievement. Child development. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/cdev.12079/full
Legewie, J., & DiPrete, T. A. (2012). School context and the gender gap in educational achievement. American Sociological Review, 77(3), 463-485.

Sur un sujet voisin, voir cet autre texte
Voir aussi l'excellente page wikipedia sur la menace du stéréotype.


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