dimanche 18 janvier 2015

"Et pour les Flamands, la même chose!": de l'utilisation politique des analogies historiques



En recherchant des images sur la mémoire de la première guerre mondiale pour une communication, je tombe sur ce cartoon diffusé par la ministre N-VA Liesbeth Homans, et bras droit de son prédisent, Bart De Wever, pendant sa campagne électorale en vue des élections fédérales belges de mai 2015.  Le dessin fut apparemment conçu par un membre de son équipe. Il s'agit d'une allusion au mythe selon lequel les soldats flamands ne comprenaient pas les ordres qui leur étaient donnés par les officiers francophones, et auraient donc été plus nombreux à succomber sous les feux ennemis. Cette croyance (sans fondement historique, cf. par exemple: De Vos & Keymeulen, 1989) s'est tellement ancrée dans la mémoire collective qu'aujourd'hui, tout Flamand comprend cette "blague". L'autre allusion est bien sûr à l'orientation sexuelle de l'ex-premier ministre socialiste Di Rupo et à la domination du PS en Wallonie (que, selon la N-VA, les Flamands ont "subi" à leur corps défendant). La chose a suscité beaucoup de réactions négatives en Flandre mais j'ai l'impression qu'on en a très peu parlé de l'autre côté de la frontière linguistique. 

Cet exemple me semble particulièrement intéressant car il met en évidence le rôle des représentations collective dans la mobilisation politique. Dans des travaux réalisés il y a une dizaine d'année, j'avais déjà essayé de montrer comment les stéréotypes sociaux pouvaient être utilisés par des dirigeants politiques pour mobiliser leurs public (voir Klein, 2004). Par exemple, le dirigeant nationaliste congolais Patrice Lumumba utilisait les stéréotypes paternalistes bien connu de ses audiences belges pour solliciter l'aide du gouvernement belge dans son projet nationaliste. 


Comme les stéréotypes, la mémoire collective, dès lors qu'elle est partagée, permet de mobiliser. Ici, il s'agit d'utiliser la mémoire de l'oppression flamande pour défendre un projet nationaliste dans lequel le PS est associé à l'oppresseur francophone. L'analogie est toutefois profondément paradoxale (c'est d'ailleurs ce qui rend le dessin "humoristique"). En l'occurrence, l'officier bourgeois et conservateur francophone du début du vingtième siècle n'aurait guère été tenté d'arborer l'étendard du parti ouvrier (ancêtre du PS) et encore moins de défendre l'homosexualité. C'est le parti nationaliste N-VA qui se fait aujourd'hui le chantre du conservatisme économique et qui arbore, ici, un discours, homophobe. On peut imaginer les soldats prolétaires plus proches des valeurs défendues par le parti ouvrier d'alors que de celles défendues par le parti flamingant. 


Par ailleurs, suite à un renversement économique spectaculaire dans l'après-guerre, la Flandre est beaucoup plus prospère que la Wallonie, désindustrialisée, et profondément affectée par le chômage.  C'est cette Wallonie-là qui vote PS. Moins que jamais elle n'est incarnée par un fier officier francophone poussant les pauvres soldats flamands à l'abattoir contre leur gré. 


Mais peu importe: le dessin fait mouche en touchant une corde sensible chez de nombreux Flamands. 


PS: sur le sujet des analogies historiques, voir aussi ce billet-ci.


Références


De Vos L and Keymeulen H (1989) Een definitieve afrekening met de 80%- mythe? Het Belgisch Leger (1914-1918) en de sociale en numerieke taalverhouding onder de gesneuvelden van lagere rang [A final reckoning with the 80%-myth? The Belgian army (1914-1918) and the social and numerical linguistic ratio among the fallen in action], Revue belge d’Histoire militaire 27: 589-612.


Klein, O. (2004). L'expression des stéréotypes et des représentations groupales: cognition, stratégie, politique. Perspectives cognitives et conduites sociales, 9, 132-159.

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