mardi 29 décembre 2015

Recension de "La Planètre des hommes: réenchanter le risque" de Gérald Bronner



Après La  Démocratie des crédules (voir compte-rendu ici), ce nouvel opus du sociologue Gérald Bronner se penche une fois encore sur les conséquences politiques et sociétales de certaines de nos habitudes cognitives. Le texte se lit de façon très fluide. Il est agrémenté d’exemples concrets,  d’anecdotes, d’exemples littéraires (Bradbury, Melville,…) nourris de l’érudition impressionnante de l’auteur.  

Bronner commence son essai en passant en revue les eschatologies des grandes religions contemporaines et constate qu'elles envisagent toutes une fin des temps bienfaitrice. En revanche, notre société n’a plus d’idéal. Lorsqu’on envisage le futur, celui-ci apparaît nécessairement sombre. Dans ces « dystopies » que nous propose la culture contemporaine (il cite des oeuvres telles que Terminator, La Route, l’Armée des douze singes,…), l’homme est presque toujours responsable de l’apocalypse. Que ce soit à travers le réchauffement climatique ou une catastrophe nucléaire, c’est chez lui qu’il faut chercher la cause du grand chambardement qui mènera à notre perte. Ce type de constat s’accompagne donc d’une certaine misanthropie, qui s’exprime parfois ouvertement. Cette dernière est paradoxale vu qu’elle est énoncée par un individu qui semble s'affranchir de son espèce: « l’homme est mauvais, mais je suis bon ». Elle a aussi des conséquences politiques dans la mesure où elle s’insère dans un système de pensée visant à canaliser l’influence humaine sur l' environnement pour éviter un tel désastre.

Bronner s’intéresse tout particulièrement à l’ « heuristique de la peur » proposée par le philosophe allemand Hans Jonas dans  le Principe responsabilité (1979). Selon ce dernier, la peur de l’avenir apocalyptique que peut susciter le développement (notamment technologique) de l’espèce humaine nous enjoint non seulement d'assumer une responsabilité vis-à-vis des générations futures mais justifie de prendre des mesures exceptionnelles voire drastiques (y compris une remise en cause de la démocratie représentative) pour empêcher une issue désastreuse, fût-elle peu probable. « En cas de doute, abstiens-toi », une position qui mènera à l’avènement du principe de précaution.

Un problème posé par ce type d’approche réside dans le danger d’une « scénarisation » du risque : on peut facilement construire des scénarios catastrophes - et la simple mise en récit les rend plus vraisemblables.  C’est là un phénomène mis en évidence dans les travaux de  l’heuristique de simulation de Tversky et Kahneman. Toutefois, ces récits sont souvent sans fondements scientifiques. Ils se basent sur la logique de l’ « effet papillon », qui peut mener à une forme d’inaction coupable. Car chacune de nos actions pourrait être ce battement d’ailes qui mènerait au désastre. 

Bronner montre combien cette pensée a pénétré divers mouvements écologistes jusqu’à s’incarner dans la constitution française sous la forme du « principe de précaution ». Elle pénètre aussi les esprits de tout un chacun: il cite, par exemple, la croyance selon laquelle la présence d'antennes gsm à proximité d’habitations cause des problèmes de santé ou la perte de confiance dans la vaccination (en raison d’effets secondaires assez rares). L’un des problèmes posé réside dans notre difficulté à ignorer des risques d’événements très graves, même si leur probabilité est très faible. En voulant éviter ceux-ci, on crée des dommages tangibles : il prend notamment pour exemple le bannissement de l’eau de javel des hôpitaux qui serait partiellement responsable  de décès dus à des maladies nosocomiales ou les conséquences dramatiques pour la santé publique d'un abandon de la vaccination par une partie de la population. Sa dénonciation du principe de précaution et la mise en évidence des processus cognitifs qui nous conduisent à mésestimer les risques sont un des points forts de l'ouvrage. 

Bronner met aussi en cause l’argument selon lequel l’humanité dilapide un patrimoine laissé à ses enfants. Cette analogie suggère que ce patrimoine, la terre, est fixe. Mais, selon Bronner, cette analogie est trompeuse car le progrès technologique permet certes d’exploiter ce patrimoine mais aussi de l’utiliser à moindre coût énergétique. 

L’heuristique de la peur mène à valoriser une décroissance économique et un rejet de la technologie qui pourraient bien plus sûrement conduire à notre perte que la poursuite de notre fonctionnement actuel. Prenant l’idée d’apocalypse au pied de la lettre (comme le fait Jonas), il rappelle que la vie sur terre sera éteinte d’ici quelques milliards d’années en raison du vieillissement du soleil ; que, plus près de nous, des astéroïdes sont susceptibles de percuter la terre et d’éradiquer également toute forme de vie sur celle-ci. Seules la sciences, la technologie et, sans doute, la croissance économique nous permettront de faire face à un tel défi. Ceci exige d’accepter que le risque fait partie de nos existences et de s’y confronter - plutôt que de se terrer dans l'inaction. Citant des travaux de cognition sociale, il remarque du reste que lorsqu' on fait face à une issue malheureuse, nous nous sentons moins coupables si notre inaction est responsable de cette issue que lorsqu' une action y a donné lieu: par exemple, on se sentira moins coupable d'avoir laissé une forêt brûler faute d'avoir éteint une cigarette bien visiblement  jetée par autrui que d'avoir jeté la cigarette soi-même. Ceci explique peut-être pourquoi l’inaction (en l’occurence le refus du progrès technologique) nous séduit plus que l’action.

Bronner se range à certains des constats que font les chantres de l’apocalypse écologique - il dénonce le climatoscepticisme et reconnaît un gaspillage énorme dans nos sociétés. Il admet également que notre système politique ne parvient pas à intégrer les risques à long terme. Toutefois, il rejette  les solutions politiques apportées par les disciples de Jonas et autres écologistes de tous poils comme, du reste, il rejetait la démocratie participative dans son ouvrage précédent. On comprend qu’il n’apprécie ni la décroissance, ni une dictature  écologique, ni l’idée (plus «soft ») d’un comité consultatif composé de spécialistes et de membres d'ONG pouvant faire véto à des décisions gouvernementales susceptibles de nuire à l'équilibre écologique de la planète, ni une mainmise gouvernementale importante, ni des contraintes sur la recherche scientifiques…Mais quelle alternative propose-t-il? On refermera l'essai sans le savoir. Si Bronner émet un voeu louable, réapprivoiser le risque en l’assumant, il ne nous explique pas comment y arriver.

Référence

Bronner, G. (2014). La planète des Hommes: réenchanter le risque. Paris: PUF. 137 pages. 13 €


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