lundi 25 janvier 2016

Un Irakien à la piscine ou comment transformer le bon Samaritain en Marc Dutroux


Un billet très court dicté par l'actualité. La semaine dernière un réfugié irakien était soupçonné d'avoir harcelé sexuellement une fillette de 10 ans à la piscine de Coxyde, sur la côte belge. Scandale. On envisage d'interdire la piscine aux migrants (dont un contingent important est hébergé à Coxyde). Il s'avère, d'après un article du Morgen paru aujourd'hui, que le migrant en question aurait en fait essayé de sauver la fillette. Les cris de cette dernière ont été mal interprétés par un nageur, qui a appelé la police.
Voilà qui me fait penser à l'expérience de Duncan (1976): le même geste (une "bourrade") n'est pas interprété de la même façon selon qu'il soit l'oeuvre d'un noir ou d'un blanc (dans un contexte américain). Dans le premier cas, le geste est vu comme "agressif", dans le second comme "amical". 
Par ailleurs, l'ampleur médiatique que prend ce phénomène provient de l'angoisse générée par les événements à Cologne lors de la nuit de la Saint-Sylvestre (des centaines de femmes ont porté plainte pour agressions sexuelles de la part d'hommes d'origine moyen-orientale ou nord-africaine). 

Ces événements reflètent la force des stéréotypes sociaux: ceux-ci nous aident à interpréter une situation ambigüe.  En l'occurrence, ils ont teinté l'interprétation des cris de la fillette par le témoin nageur mais également le regard que la presse a pu porter sur ces événements. Le fait que ces stéréotypes soient partagés socialement explique également la portée que ces événements ont pu avoir sur l'opinion publique. 
Alors que la confirmation du stéréotype n'a fait que renforcer celui-ci, l'inverse n'est pas nécessairement vrai: le fait que le stéréotype ait été battu en brèche ne signifie naturellement pas que les individus confrontés à ce "retournement interprétatif" vont remettre en cause leurs croyances et subitement voir dans les migrants des anges gardiens en puissance. Ce migrant irakien n'est peut-être qu'une exception peu représentative de l'ensemble des migrants - un phénomène que l'on qualifie de "sous-typage". Car les gens sont souvent motivés à conserver leur stéréotypes car ceux-ci leurs permettent précisément de donner un sens à leur environnement social et de justifier leurs propres conduites. Le citoyen qui se refuse à accueillir des migrants dans son patelin trouvera dans le stéréotype du "migrant violeur" une justification toute trouvée à ses penchants xénophobes.
Invoquer l'exception, plutôt que la règle, pour caractériser des comportements qui dévient du stéréotype permet précisément de préserver nos chères croyances sur la nature des groupes plus ou moins menaçants qui nous environnent.

References

Duncan, B. L. (1976). Differential social perception and attribution of intergroup violence: Testing the lower limits of stereotyping of Blacks. Journal of personality and social psychology, 34(4), 590.

Aucun commentaire: